Le marketing pour les Mad Men de demain, par Wim Vermeulen

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Wim Vermeulen vient de publier un ouvrage intitulé "Marketing voor de Mad Men van morgen". Ce livre, très accessible et actuel, explique aux spécialistes du marketing comment positionner leur marque dans notre monde post-digital doté d’un nouveau « système d’exploitation ».

« What happened to all the funny ads ? » Telle est la première phrase du premier opus de Wim Vermeulen. L’auteur a piloté comme Managing Director le lancement et le déploiement d’Ogilvy Interactive en Belgique, avant d’occuper notamment la fonction de Director of Digital pour le même groupe en Europe de l’Est et en Russie. Engagé comme Marketing Director chez pagesdor.be, il a fait ensuite son entrée chez Dentsu Aegis Network, où il a troqué dernièrement son poste de Director Strategy & Innovation contre celui de Managing Director de Dentsu Consulting.
Cette première phrase aux accents quelque peu nostalgiques est suivie d’une description des errements du marketing causés par la révolution numérique, la crise financière de 2008 et la vision à court terme que cette dernière a engendrée. Vermeulen exhorte ensuite les marques à se préparer à faire face aux algorithmes d’acteurs tels qu’Amazon et Google. Pour conclure ce livre découpé en six chapitres, il présente un nouveau modèle baptisé TapForward, qui devrait permettre selon lui aux marketeurs de relever les défis posés par notre monde post-digital grouillant d’algorithmes. Il se base sur les recherches en neuropsychologie et sur une analyse de la base de données de l'IPA britannique, et plus particulièrement sur les campagnes ayant remporté des prix d’efficacité. Les rapides changements technologiques en marketing décrits en détail dans le livre n’empêchent pas l’auteur d’accorder aussi une grande attention aux textes et slogans rédigés par des géants de la publicité comme Bill Bernbach, David Ogilvy et quelques autres peu après la Seconde Guerre mondiale. Nous vous proposons dans les lignes qui suivent un résumé de l’ouvrage en prenant comme fil conducteur des phrases célèbres de ces personnalités.

« If it doesn’t sell, it isn’t creative » (David Ogilvy)

« Mon livre n’a pas pour but d’encenser ou d’idéaliser le passé. Mais si Bernbach et Ogilvy voyaient le travail accompli aujourd’hui par les marketers, ils les mettraient directement dehors. Nous sommes en train de bafouer toutes les lois des géants de la publicité. J’aime faire une comparaison avec un architecte qui veut construire un gratte-ciel. Il doit tenir compte des lois de la physique tout en suivant les dernières tendances en matière de conception de bâtiments. Il ne peut pas échapper aux premières, mais doit s’adapter aux secondes. Les marketers oublient parfois que leur métier est également soumis à des lois semblables à celles de la physique, qu’ils ne peuvent ignorer. Qui plus est, ils ont la fâcheuse habitude de déclarer mort l’ancien chaque fois que du neuf apparaît, mais cela ne s’est encore jamais produit. La télévision n’a pas supplanté le cinéma ou la radio. C’est une vision simpliste. Les jeunes qui ont fait leurs premiers pas dans le marketing ces dernières années ont entendu dire que la publicité télévisée allait bientôt disparaître. Il n’en est rien ! Qui plus est, les marketers sont constamment en train de réinventer la roue. Ils veulent tout changer parce que le système d’exploitation change, mais c’est un mauvais raisonnement. La plupart des techniques dont il est question aujourd’hui, comme le marketing de contenu, ont été inventées il y a bien longtemps par des pionniers tels que Michelin et John Deere. Le marketing d’influence a quant à lui vu le jour avec l’essor de la télévision, lorsque les annonceurs produisaient des programmes. Ce que nous appelons aujourd’hui l’influencer marketing correspond au celebrity marketing ou à l’endossement d’hier. Tout tourne autour de l’effet de halo. C’est la raison pour laquelle Nespresso fait appel à George Clooney. Reste à voir si les micro-influenceurs sont tout autant capables de déclencher un tel effet positif. Cette confusion constante est très énergivore et détourne l’attention des marketeurs de leur tâche principale : renforcer la marque et miser de nouveau sur le contenu et le long terme. D’autant plus que la transition vers le vocal est en cours. »

« Build sales overnight, brands over time »

L’auteur constate que la faiblesse actuelle des marques a pour principale cause le « court-termisme » ou encore le déséquilibre entre les campagnes à long terme et les campagnes à court terme. « La crise financière qui a éclaté en 2008 s’est traduite dans les entreprises par une diminution drastique des investissements dans la marque. Les marketers ont adopté un style de communication très rationnel, basé sur des arguments de vente. Or, il s’agit d’une démarche problématique, car l’affaiblissement de la marque entraîne automatiquement une baisse des ventes. Nous avons clairement observé cette corrélation : le brand building a commencé à décliner en 2010 et les ventes se sont mises à dégringoler en 2012. En épluchant la base de données de l’IPA, qui compte plus de 12.000 campagnes, Peter Field et Les Binet sont arrivés à la conclusion que la répartition la plus efficace des investissements publicitaires était de 62% pour la communication de marque et 38% pour l’activation des ventes. Aujourd’hui, ce rapport est en moyenne de 30 % contre 70 % aux États-Unis. »

« Thinking is to humans as swimming is to cats ; they can do it but prefer not to » (Daniel Kahneman)

Vermeulen relaie avec enthousiasme la théorie du psychologue Daniel Kahneman selon laquelle notre cerveau se composerait de deux systèmes : le « pilote automatique » et le « penseur paresseux ». Le deuxième système tenterait d’intervenir le moins possible, étant donné notre peu d’engouement pour la réflexion. Qui plus est, 90% de nos décisions seraient fondées sur des émotions. « Voilà la piste à suivre par les responsables marketing. Ils doivent selon lui créer des cadres mentaux dans l’esprit du consommateur pour une marque déterminée, de sorte que les arguments rationnels tels que le prix soient ignorés et que le choix de la marque devienne un automatisme. Les géants de la publicité l’ont ressenti intuitivement et ont montré aux marketeurs comment avoir du succès en exploitant ce pilote automatique. Mais, ces dernières années, les campagnes jouant sur les émotions sont devenues rares. Nous avons davantage misé sur les arguments de vente rationnels pour convaincre les consommateurs. »

« Software is eating the world » (Marc Andreessen)

Les marques faibles feront les frais d’une des évolutions majeures qui est en train de se dessiner : la montée en puissance des assistants personnels à commande vocale conçus par Amazon (Alexa), Microsoft (Cortana), Apple (Siri) et Google (Google Assistant). Car ces assistants virtuels ne tiendront pas compte des marques - à moins que l’annonceur ne paie pour cela, à l’instar du référencement payant sur Google -, mais baseront leurs décisions sur le prix, les avis des utilisateurs, la proximité, etc. Scott Galloway, fondateur de la société d’intelligence artificielle L2, pense même que nous pourrions devenir indifférents aux marques et estimer préférable de nous fier à Alexa & Co, vu que ce sont eux qui disposent des données. « Les marketers redoutent ce brand bypass. Une personne qui dicte une liste de courses à faire à son assistant vocal nommera des produits et non des marques, à moins que celles-ci ne soient si fortes que le consommateur la choisit sans réfléchir. »

« If you stand for something, you will always find some people for you and some against you. If you stand for nothing, you will find nobody against you, and nobody for you » (Bill Bernbach)

Dans son plaidoyer en faveur de campagnes de marque à long terme, Vermeulen souligne une autre évolution qui ne cesse de s’amplifier ces dernières années : le succès des campagnes d’inspiration sociale. Warc a noté une hausse de 300% des publicités socialement engagées pour les 100 plus grandes entreprises mondiales au cours des cinq dernières années. Citons quelques exemples : "The Talk", le spot de BBDO New York pour Procter & Gamble sur le mouvement Black Lives Matter, le plaidoyer d’Always (P&G) pour plus d’égalité entre les sexes dans le spot "Like a Girl", ou encore la campagne "Dirt is Good" de Persil pour laisser les enfants jouer dehors. Différentes entreprises empruntent aujourd’hui la voie du socialement responsable : Philip Morris met en garde contre les dangers de la cigarette après les avoir niés pendant des décennies ; Coca-Cola engage quant à lui la lutte contre l’obésité ; enfin, Facebook se transforme inopinément en champion de la protection de la vie privée.

A en croire Joeri Van Den Bergh, cofondateur d’InSites Consulting, 80% des jeunes considèrent que l’amélioration du monde dans lequel nous vivons est une priorité. Pour ce faire, ils comptent d’abord sur les entreprises, ensuite sur les pouvoirs publics et seulement en troisième lieu sur leurs propres efforts. Cette génération Z sait que le monde économique est mieux équipé que les autorités pour proposer des solutions aux problèmes qui nous concernent tous, comme le réchauffement climatique. « Les marques devront de plus en plus souvent prendre position sur des thèmes de société et sortir du lot. Si un jeune de 20 ans doit choisir entre Ben & Jerry’s et Häagen-Dazs, il optera pour la marque qui s’investit le plus sur le plan éthique et qui cherche des solutions aux problèmes sociaux. Je conseille aux annonceurs de communiquer avec un fort engagement, ou si cela n’est pas possible, de façon très brève, parce qu’entre les deux, il y a un no man’s land. »

« It’s the kind of thing that comedians joke about » (Les Binet)

Mais revenons à notre question initiale. Où sont passées toutes ces campagnes mémorables ? Et comment faire aujourd’hui pour avoir du succès avec sa publicité ? Comment se fait-il que tout le monde ait entendu parler de campagnes comme "Fearless Girl" ou "Do it for Denmark", qui ont généré des millions de vues ? Comment ces campagnes sont-elles parvenues à multiplier leur share of voice sans devoir dépenser des millions d’euros en budget média ? Comment expliquer que les consommateurs aient publié et partagé leur avis sur ces campagnes dans les réseaux sociaux ? Wim Vermeulen constate que les publicités partagées respectent toutes la même règle : elles soulèvent des questions existentielles en les associant à des émotions profondément humaines qui amènent les gens à s’identifier avec le protagoniste et à bouger.

Pour encore renforcer cette formule à succès, Vermeulen a introduit l’effet TapForward, une nouvelle version du "Water Cooler Effect", qui date de l’époque où l’on mesurait le succès d’une campagne aux discussions autour de la machine à café. Selon lui, cet effet doit faire partie intégrante de toute publicité, car il génère un cercle vertueux grâce aux gens qui partagent la campagne. Vermeulen pointe trois principes à prendre en compte par les marques qui veulent provoquer un effet TapForward : être open source ou pratiquer l’activisme de marque par une recherche active des consommateurs ; comprendre que demander l’engagement implique de s’engager soi-même ; et intégrer une perspective insolite dans sa campagne. « Grâce au nouveau système d’exploitation qui pilote notre monde et aux possibilités technologiques, l’audience d’une campagne peut être beaucoup plus élevée qu’à l’époque des géants de la publicité. Cet effet est la clé pour obtenir à la fois une croissance à long terme et une conversion à court terme », conclut Wim Vermeulen.

« Marketing voor de mad men van morgen » (184 pages) a paru en février chez LannooCampus (en néerlandais). La traduction anglaise du livre suivra prochainement.

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