Le magasin traditionnel est-il en voie de liquidation ?

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« Non, nous ne sommes pas près de faire exclusivement nos achats sur le web », avance Els Breugelmans. Els est experte en commerce de détail et mène des recherches sur le comportement des consommateurs et l’e-commerce. « Vous pensez peut-être qu’il existe deux types de consommateurs, à savoir le consommateur en ligne et son alter ego hors ligne, et que le premier groupe s’accroît au fur et à mesure que l’autre s’amenuise. Mais il n’en est rien. La plupart d’entre nous s’inscrivent aujourd’hui dans une démarche “omnicanal” : nous faisons les deux. »

Els Breugelmans dresse le top 5 des produits en ligne à succès : les voyages en avion et les vacances, les billets pour les concerts et les attractions… « Logique, car dans ce cas, vous n’avez plus besoin d’un produit physique. » Le premier produit tangible se trouve à la cinquième place : les jouets, dont les ventes en ligne se chiffrent à près de 40 %. Nous nous attendions sincèrement à ce que les vêtements figurent dans les premières positions du classement. « Ils n’arrivent pas encore si haut. Sur une échelle qui va d’“utilitaire” (objets purement fonctionnels, p. ex. un lave-linge) à “hédonique” (sentimental), les vêtements tendent davantage vers le côté hédonique. Un t-shirt est facile à évaluer sur Internet, mais lorsqu’il s’agit d’un pantalon ou d’un pull, beaucoup souhaitent encore le toucher, l’essayer et l’enfiler. Le consommateur se rend donc toujours fréquemment en magasin. »
Quant à nos achats au supermarché, ils ne sont que très faiblement représentés : à peine 2 à 3 % des ventes s’effectuent en ligne. « La nourriture doit rester fraîche et des règles strictes s’appliquent à son transport. Se faire livrer des aliments est bien plus contraignant que la livraison d’un colis PostNL qui contient une paire de chaussures. Le service est donc onéreux pour le client, même si le fournisseur le propose à prix coûtant. »

Le modèle Zalando
Qui accepte encore de payer pour la livraison ? « Livraison gratuite, retour gratuit » semble être la devise du commerce en ligne. Une devise dont Els Breugelmans n’est pas partisane : « Des game changers de l’online, tels que Zalando, ont créé ce modèle gratuit. Nous y sommes si bien habitués que les commerces physiques qui sautent le pas du numérique n’ont d’autre choix que de se calquer sur ce modèle. Mais rien n’est gratuit. Les commerçants doivent soudainement payer le “dernier kilomètre” coûteux entre le produit et l’acheteur, ce qui réduit sensiblement leurs marges bénéficiaires. Prenons l’exemple de Chaussures Torfs : sa boutique en ligne ne cesse de s’agrandir. Pourtant, la marque réalise moins de profit. La gratuité est intenable à long terme, et ce, pour tous les acteurs, sans distinction. Pourquoi cette situation ne change-t-elle pas ? Le premier qui renversera la vapeur essuiera les plâtres. »
S’agit-il donc d’un combat déloyal pour les commerces physiques ? « Ils ne doivent surtout pas jouer la carte du prix. Ils seraient perdants à tous les coups, car une boutique en ligne proposera toujours un tarif inférieur. La force des commerces traditionnels réside dans le facteur humain : ils se distinguent grâce à leur service personnalisé et aux conseils qu’ils donnent. » Et qu’en est-il du showrooming, qui consiste à faire l’essayage en magasin pour commander ensuite à moindre coût sur un webshop ? « Si le client s’adonne à une telle pratique, c’est souvent aussi en raison d’un piètre service en magasin. L’argent n’est pas l’élément le plus important pour tous les clients. »
Peut-être les commerces traditionnels sont-ils plus performants pour les achats impulsifs ? Pensez à cette écharpe que vous venez de trouver en boutique et que vous avez toujours voulue… « C’est partiellement vrai », répond Els Breugelmans. « Nous sommes en effet beaucoup plus rationnels quand nous achetons en ligne. J’ai moi-même étudié la question : les produits d’impulsion, comme le chocolat ou les biscuits, ont bien moins de succès en ligne que hors ligne. Les boutiques en ligne ont néanmoins leurs petits secrets pour vous inciter à dépenser plus. Elles proposent, par exemple, la livraison gratuite à partir d’un certain montant ou vous suggèrent des articles que “d’autres clients ont achetés”… »
En résumé, la rue commerçante n’est pas vouée à disparaître ? « Non. Mais elle se rétrécira et les magasins deviendront plus compacts, car le chiffre d’affaires par mètre carré diminue. »

La honte des colis
Dans quelle mesure le commerce en ligne est-il écologique ? Nous ne faisons certes pas le déplacement jusqu’à la rue commerçante, mais sur ce temps-là, des camionnettes de livraison envahissent les rues des villages. La « honte des colis » a-t-elle sa place dans tout cela ? « Le terme “honte” est sans doute un peu fort. J’ai moi-même vécu la situation : j’estimais plus intelligent de commander trois produits en même temps sur Bol.com pour économiser les frais de livraison. Mais mes trois articles m’ont été livrés un par un, par des camionnettes distinctes. Ces sites web sont des plateformes qui réunissent différents fabricants, qui expédient chacun leurs colis lorsque leur partie de la commande est prête. Donc oui, quand vous ouvrez la porte pour la troisième fois, vous vous sentez effectivement un peu “embarrassé”. »
« De ce point de vue, il s’agit évidemment d’une catastrophe écologique. Pourquoi n’ai-je pas pu décider de me faire livrer de la façon la plus efficace ? Pourquoi les boutiques en ligne font-elles toujours étalage de cette rapidité de livraison ? Je doute vraiment qu’elle soit nécessaire. La promesse du “livré le lendemain” est également loin d’être toujours idéale pour le client. Je ne suis pas économiste des transports, mais d’énormes gains d’efficacité sont possibles à ce niveau. Pensez aux dépôts centraux, où vous pouvez passer en rentrant du travail… Le client n’a cependant pas voix au chapitre à cet égard. »
« Je n’ai jamais pensé que l’argument environnemental persuaderait les foules de ne plus acheter en ligne ou de ne plus se faire livrer. Seule une niche envisagera la chose sous cet angle. Les avantages de l’e-commerce sont tout simplement trop nombreux. Nos vies sont devenues tellement trépidantes que nous ne pouvons plus nous imaginer continuer sans les webshops. C’est généralement la commodité qui prévaut. »

source:  KU Leuven Campuskrant
La Prof. Dr Els Breugelmans enseigne à la faculté de sciences économiques et de gestion d’entreprise de la KU Leuven, sur le campus d’Anvers, où elle est rattachée à l’unité de recherche Marketing Management. Elle est speaker @ l'UBA Academy dans le domaine Omnichannel & Sales. Le 16/9 elle a donné la Masterclass Omnichannel Management.

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