
Le monde dans lequel nous vivons est en constante mutation. Il arrive que ces changements convergent et deviennent de grandes tendances ou des phénomènes sociétaux majeurs. En tant que marketeurs, nous savons que nous devons nous adapter à ces tendances et nous sommes souvent tentés de faire campagne sur les grands thèmes de société, surtout lorsqu’ils présentent un puissant lien intuitif avec la catégorie de marques, de produits et de services que nous commercialisons. La recherche montre néanmoins que cela n’est pas sans risque.
L’alimentation saine, par exemple, est une tendance dominante. Nombre de consommateurs modifient leurs habitudes alimentaires, les aliments estampillés « bio » enregistrent une croissance à deux chiffres et il ne se passe pas un jour sans qu’un café, un bar ou un restaurant durable ou 100 % bio n’ouvre ses portes. Pour ce qui est des soupes (une catégorie qui présente un puissant lien intuitif avec l’alimentation saine), investir dans des ingrédients plus sains et d’origine plus naturelle semble être la stratégie gagnante. Mais cette stratégie contribue-t-elle réellement à stimuler les ventes d’une marque de soupe ? Le passage au bio aide-t-il à gagner la bataille au niveau du porte-monnaie des consommateurs ?
Lorsqu’on observe les données, la réponse à ces questions est oui… et non.
Le risque
Il va sans dire que les grandes marques ont leur place et leur rôle à jouer dans la société. Et dans la mesure où les sociétés évoluent, il est logique que les marques s’adaptent du mieux qu’elles peuvent à cette nouvelle réalité. Cela ne signifie pas pour autant que le lien direct entre votre marque et les nouvelles tendances sociétales améliore automatiquement vos performances.
En 2019, Beyond Reason a recueilli plus de 317 000 réponses implicites de consommateurs afin d’inventorier et de mesurer les motifs d’achat dans la catégorie des soupes préemballées sur plusieurs marchés européens. Pour l’ensemble de la population, les aspects liés à la santé n’étaient absolument pas pertinents – ils ne figurent même pas dans le top 10 des motivations. La santé n’était pertinente que pour un groupe démographique spécifique (8 %), mais même pour ce groupe, elle ne constituait pas le motif d’achat principal. Le risque est évident. Pour une marque de soupe classique, qui cible la population générale, une campagne axée sur la santé n’aura pas d’effet positif sur les préférences des consommateurs et les décisions d’achat. Il s’agirait donc logiquement d’un terrible gaspillage de ressources. Les données ne trompent pas : de ce point de vue, jouer la carte « éco » serait une erreur.
Il existe cependant une autre perspective, tout aussi importante. La plupart des marques de soupe en conserve et des marques des catégories voisines (p. ex. repas et snacks préemballés) déploient des efforts considérables pour devenir plus biologiques et plus durables. Certains de ces efforts sont sincères, d’autres sont des cas évidents de greenwashing – mais c’est un autre débat. Ce qui importe ici, c’est que le bio devient rapidement une nouvelle norme, un nouveau facteur d’hygiène pour ces catégories.
Le même projet de recherche révèle que, si leur marque préférée et de confiance leur proposait un produit à un prix similaire et avec des qualités similaires (saveur, fraîcheur, etc.), plus de 70 % des clients préféreraient la version estampillée bio/organique à la version classique. Vu sous cet angle, il serait pertinent pour une marque de soupe d’investir dans la tendance de la nourriture bio.
La solution
Le meilleur moyen de faire face à cette contradiction apparente et de réduire le risque est d’établir une distinction nette entre les tendances majeures et les motifs d’achat.
Les tendances et les phénomènes sociétaux sont des éléments constitutifs du paysage dans lequel vous opérez. Ils peuvent devenir (mais ne deviendront pas nécessairement) des facteurs d’hygiène dans votre catégorie. Dans ce cas, votre marque se doit d’être à la hauteur pour être prise en considération (d’achat), sans quoi elle sera généralement écartée du terrain de jeu. Mais attention : vous ne bénéficierez pas nécessairement d’un avantage concurrentiel, puisque la plupart de vos concurrents s’adapteront rapidement à cette nouvelle réalité. Le terrain de jeu s’en verra uniformisé, créant ainsi une nouvelle réalité.
Les motifs d’achat sont la force cachée qui fait que les gens aiment et achètent votre marque ; ils sont profondément ancrés dans la psyché de vos clients et sont relativement stables. En d’autres termes, si les consommateurs sont (principalement) motivés à acheter des soupes parce qu’elles créent des moments chaleureux et conviviaux, ils continueront à le faire, même si la nourriture bio est la nouvelle grande tendance. Assurez-vous donc d’ajouter cette couche bio/durable à votre marque, mais n’oubliez jamais que vos clients choisissent votre marque parce qu’ils vous perçoivent comme la meilleure réponse à leurs motifs implicites.
Il est important, en tant que marque, de s’adapter à la nouvelle réalité des grandes tendances sociétales, mais il est tout aussi important de bien comprendre et de ne pas surestimer leur impact sur votre business.
Par Olivier Tjon, co-founder of Beyond Reason, une start-up belgo-britannique qui relie la neuroscience de pointe aux réalités du marketing et du commerce afin de comprendre l’influence de la motivation implicite sur les préférences et les décisions d’achat du consommateur. Ce modèle a été présenté lors du l'Expert Community CMI.