
Il y a plus de 10 ans, j’ai écrit un petit livre intitulé « I love the crisis, Plaidoyer pour un marketing anticyclique ». J’avais alors été inspiré par la crise financière, et les exemplaires se sont vendus comme des petits pains. Lorsque le CEO de l’UBA, Chris Van Roey, et 15 annonceurs m’ont invité, il y a quelques semaines, à participer à une visioconférence sur le même thème, j’ai pris le temps de me relire. J’ai remis en question la pertinence de mon travail à la lumière de la récession qui s’annonce cette fois. Certaines constantes demeurent, mais il y a aussi des lacunes à combler. Il est donc temps d’actualiser mon récit.
Marketing made by people
Chaque période de récession a ses causes, son schéma et sa durée (en moyenne 11 mois). Il existe toutefois des idées et des lois universelles qui s’appliquent aussi aujourd’hui. Indépendamment du contexte spécifique et de l’esprit du temps.
Le marketing est fait par des gens. Des gens qui ont la réaction instinctive de se cacher lorsqu’ils sont en danger. Quand le Covid-19 a frappé le monde de plein fouet, de nombreuses entreprises ont réduit, voire interrompu, leurs efforts. Non seulement les compagnies aériennes, mais aussi les constructeurs automobiles, les brasseurs et les assureurs.
Une plus faible proportion d’entreprises ont rapidement montré leur côté humain : Decathlon a fait don de masques de plongée aux hôpitaux, LVMH s’est mis à produire gratuitement du gel hydroalcoolique, le fabricant de lingerie Van de Velde a commencé à coudre des masques et Audi Brussels a contribué à la production de respirateurs. Une approche à la fois humaine et intelligente : les clients se souviendront longtemps après la crise des entreprises qui se sont montrées socialement généreuses.
Now is the time
Maintenant que nous pouvons lentement déplacer l’attention de la crise sanitaire vers la sombre réalité économique, il est grand temps de mettre en place un marketing anticyclique et d’investir à contre-courant. La raison ? Les clients récompensent les marques qui ont foi en elles-mêmes et en l’avenir. La confiance en ses propres capacités est contagieuse (excusez le mot) et encourage les consommateurs à acheter et à remettre l’économie sur les rails. Le stimulus d’un marketing optimiste fonctionne encore mieux que les tours de passe-passe financiers des banques centrales. C’est le principal atout des marques fortes.
À en croire les réactions des membres de l’UBA lors de notre visioconférence, je ne prêche plus dans le désert avec ces propos. La plupart des participants à cet entretien élaborent en ce moment des plans en vue de rétablir, voire de renforcer, le lien avec leurs clients à court terme. Non pas avec des promotions agressives (celles-ci sont contre-productives en temps de crise), mais avec des initiatives réfléchies, qui soutiennent la marque. Il est d’ailleurs scientifiquement prouvé que la publicité en période de ralentissement économique a un plus grand impact sur la part de marché que la publicité en période de prospérité. Une concurrence réduite dans les blocs publicitaires, et donc un share-of-voice accru, entraîne un effet multiplicateur. Un effet qui gagne encore en intensité lorsque le pire est derrière et que les volumes de vente recommencent à augmenter.
C’est ainsi que Nike a fait école lors de la récession des années 1990, en rayant Reebok et Converse de la carte. Un chapitre « petit, mais exquis » y est d’ailleurs consacré dans le sensationnel documentaire « The Last Dance » de Netflix, sur les Chicago Bulls de Michael Jordan.
Times, they are changing
Les marques les plus perspicaces voient actuellement plus loin que le bout de leur nez publicitaire. Et c’est sans conteste la plus grande évolution depuis mon livre, il y a dix ans. L’expérience client et l’innovation sont désormais les clés du marketing anticyclique.
En cette période de confinement, nous nous sommes mis à apprécier encore plus le service clientèle de nos marques préférées. Mon restaurant thaï préféré qui ajoute gratuitement et spontanément un délicieux dessert à ma commande à emporter. Cette agréable conversation avec la dame de mon garage Volvo, qui a plus que compensé le retard de l’entretien. La marque de mon vélo qui m’envoie une carte manuscrite pour me souhaiter sécurité et santé (!) sur la route. Une expérience personnelle et chaleureuse avec une marque constitue l’investissement le plus durable dans la relation avec le client et permettra assurément de surmonter cette crise. Même si cette relation est virtuelle. J’ai conscience qu’agir à ce niveau reste un vrai défi pour les grandes marques traditionnelles, mais aucun autre moyen ne permet de toucher le cœur du consommateur.
Mon autre cheval de bataille à ce jour : l’innovation. Steve Jobs avait un temps d’avance quand, au lendemain du 11 septembre, il a changé à jamais l’industrie musicale avec son iPod et a redonné confiance à une économie mondiale craintive. Amazon en a fait de même sur le marché des affaires pendant la crise financière : avec son abonnement Prime, le géant en devenir a jeté les bases du succès colossal qu’on lui connaît aujourd’hui.
Lorsque la conjoncture est défavorable, la plupart des entreprises jouent la sécurité. Elles mettent leurs forces créatives à l’étable et s’en tiennent à leurs vaches à lait traditionnelles. L’entrepreneuriat anticyclique suppose qu’une entreprise fasse tout l’inverse. L’innovation constitue une arme puissante contre la banalisation, a fortiori sur un marché tributaire des prix. En créant une nouvelle arène, les marques échappent à la « marée rouge » où tous les acteurs affluent avec leur recette bien connue et où le sang concurrentiel coule à flots. Dans les vastes eaux d’un « océan bleu », la concurrence est moins rude et les marques sont plus susceptibles d’attirer l’attention de nouveaux groupes cibles.
Un bel exemple d’innovation créative bien de chez nous : l’entreprise louvaniste d’impression 3D Materialise a développé ces derniers mois un système qui permet d’ouvrir ou de fermer des portes sans contact direct avec la poignée. Materialise a partagé un projet gratuit avec le monde entier et a reçu en retour une pléthore de témoignages de sympathie et de publicité gratuite.
New horizons
La crise du coronavirus présente une autre caractéristique atypique. Plus que lors des récessions précédentes, les consommateurs et les entreprises ressentent le besoin de faire des choix personnels et sociétaux. Comment assurer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, maintenant que nous travaillons aussi à domicile ? Les grandes marques ne devraient-elles pas réfléchir à leur rôle dans l’économie locale, maintenant que nous redécouvrons et valorisons notre propre environnement ? L’enseigne McDonald’s ne pourrait-elle pas proposer, par exemple, des salades de l’horticulteur local ?
Les entreprises doivent prendre conscience que leurs anciens clients sont devenus de nouveaux clients. Des clients qui ont d’autres priorités et préférences que quelques mois auparavant. Il est donc essentiel d’identifier les glissements dans le comportement des consommateurs et d’adapter votre offre en conséquence.
Terminons sur une petite note poétique : les récessions viennent, les récessions s’en vont, mais les opportunités sont toujours présentes à foison. Pour nos entreprises, il s’agit désormais surtout de reconnaître comme telles les opportunités qui se présentent et de les saisir.
Marc Fauconnier, president ACC Belgium & consultant bij Fauconnier-Selfslagh
Cette opinion est spécifique à l'auteur et ne représente pas nécessairement l'opinion de UBA.