
Matt Wallaert est un psychologue comportemental et ancien Chief Behavioral Officer de Microsoft. Il est l’auteur du livre « Start at the end: how to build products that create change ». Il appelle les marketeurs à profiter de la crise actuelle pour s’éloigner du focus habituel sur les intentions des consommateurs.
Au lieu de cela, nous devrions aujourd’hui investir dans des pratiques qui encourageront des changements de comportement mesurables chez les consommateurs. « Le marketing qui vise à modifier les comportements contribue à un monde meilleur, avec moins de déchets et plus d’énergie consacrée à ce qui compte vraiment. »
Les crises cristallisent souvent des changements déjà existants. Le télétravail progressait lentement, avec une augmentation de quelques pour cent chaque année. En 2019, 40 % des entreprises ne l’autorisaient toujours pas. Et ce pourcentage a soudainement chuté à 1 %, du jour au lendemain, lorsque le confinement s’est imposé suite au Covid-19. Le secteur de la distribution (de l’alimentation à la mode) a connu la même transition. Lorsque nous assouplirons les règles de confinement, nous constaterons peut-être une rechute, mais la situation ne sera certainement plus celle d’avant. Une grande partie de ce changement sera permanent.
Au cours des dernières décennies, on observe un glissement des « intentions » au « comportement » dans le domaine marketing. Des mesures telles que le « Net Promotor Score » et la « unaided awareness » ont fait place au « cost per acquisition/download/signup » ou à un comportement observable. Et à juste titre : toute entreprise vise, en fin de compte, un changement de comportement.
Mais il s’agit d’un processus lent, à l’instar de la transition vers le télétravail. Trop de marketeurs seniors ont refusé de modifier leurs habitudes et de restructurer leurs départements avec les compétences nécessaires. Et trop peu étaient prêts à évoluer vers des mesures de comportement. Ils n’étaient, en effet, pas sûrs de pouvoir les concrétiser, d’une part. Et ils risquaient de mettre en péril leur système de primes, d’autre part. On constate, dès lors, un déplacement de pouvoir au sein des organisations, des Chief Marketing Officers aux nouveaux Chief Product Officers, ravis d’exprimer leur travail en termes de comportement.
Le Covid-19 accélérera ce glissement de pouvoir, à moins que les marketeurs saisissent l’occasion d’évoluer eux-mêmes. Trop de marques ont essayé de réaliser une publicité insolite dans le cadre de la pandémie au lieu de saisir cette opportunité pour amorcer des changements stratégiques majeurs susceptibles de les mener droit au succès pour « l’après-Covid-19 ». Les victoires à court terme confèrent au marketeur l’image d’un spécialiste très réactif, mais elles n’empêcheront pas les entreprises de se retirer du marché, surtout compte tenu des conditions cognitives complexes d’une population seule et isolée pendant six semaines.
La transition vers des paramètres comportementaux devrait commencer par une remise en question des résultats du marketing. Les marketeurs doivent s’entendre au sein de leur entreprise sur un ensemble de comportements de consommation dont ils seront responsables. Ces comportements doivent être clairement articulés et mesurés afin d’éviter tout désaccord sur les objectifs à atteindre.
Une fois le comportement clairement identifié, il peut être décomposé en petites unités de sous-comportement et en différentes populations. Il s’agira ensuite de modifier effectivement le comportement des consommateurs. Il faudrait avant tout répondre à deux questions élémentaires : « Pourquoi quelqu’un voudrait-il faire cela ? » et « Pourquoi ne le fait-il pas déjà ? ». Si ces questions sont simples, il n’est pas toujours facile d’y répondre. Des preuves quantitatives et qualitatives sont essentielles pour valider les données. Les départements marketing ont donc besoin de ces informations (alors que les deux font souvent défaut). Il ne s’agit pas d’une étude de marché comme on l’entend aujourd’hui : si elle prend six mois et coûte des millions d’euros, elle sera certainement biaisée. Pour l’observation des comportements, directs et indirects, on distingue quatre groupes : ceux qui montrent toujours le comportement, ceux qui ne montrent jamais le comportement, ceux qui ont commencé récemment et ceux qui ont arrêté récemment. La recherche doit s’étaler sur quelques semaines et non sur quelques mois.
Tout peut ensuite aller très vite. Les idées se transforment en actions, orientées, testées et étirées. Là encore, en la présence d’enquêtes et de groupes de discussion, le marketing reprend ses vieilles habitudes. Le sentiment que vous dites ressentir par rapport à quelque chose a peu de lien avec son application dans vos actions réelles.
La pandémie actuelle pourrait être une opportunité unique d’accélérer cette évolution. Bien que les contraintes économiques de cette crise aient réduit l’exécution tactique, on consacre plus de temps à la réflexion stratégique afin de déterminer ces comportements. C’est aussi le moment de restructurer les organisations de manière réfléchie, notamment en recourant au recyclage là où il s’avère nécessaire et au désengagement là où ce n’est pas le cas. Le taux de chômage atteint des niveaux records. Les talents sont nombreux sur le marché. Résultat ? Une réorganisation bien ficelée pourrait revaloriser les trois attributs clés d’une équipe axée sur le comportement : quantité, qualité et gestion de projet.
Le Covid-19 est une tragédie qui coûtera des centaines de milliers, voire des millions, de vies d’ici à ce que nous puissions en limiter les dégâts. Pour compenser ces frais, nous devons faire des bénéfices, partout où nous le pouvons. Le marketing qui vise à modifier les comportements contribue à un monde meilleur, avec moins de déchets et plus d’énergie consacrée à ce qui compte vraiment. Il est tout bonnement inconcevable de continuer à consacrer plus de 10 % de nos revenus au marketing si nous ne passons pas de la génération de la demande au changement de comportement. Nous devons nous concentrer sur ce point pendant cette crise pour éviter la prochaine. Amorcez le changement maintenant, avant qu’il soit trop tard.
Cette opinion est spécifique à l'auteur et ne représente pas nécessairement l'opinion de UBA.