"Les inquiétudes et l'insatisfaction des annonceurs augmentent"

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D’un côté, l’évolution des dispositifs numériques offre aux annonceurs des opportunités sans précédent pour mieux comprendre et mieux atteindre leur audience. De l’autre, l’explosion de nouvelles formes de fraudes très complexes est en train de ternir tout l’écosystème de la publicité en ligne. Comment les marques peuvent-elles s’assurer que leurs publicités soient réellement visibles dans un environnement sûr, et par de vraies personnes ? Chez nous, l’Union Belge des Annonceurs s’est activée assez tôt sur tous ces sujets largement traités dans notre magazine du mois de juin. Selon Chris Van Roey, le sujet est vaste et porte sur l’ensemble des dispositifs en communication numérique. Pour le CEO de l’UBA, la vague du digital s’étale sur une plage de galets, et ça fait mal.

En mai, l’UBA publiait les résultats de son étude "Sophisticated Invalid Traffic Assessment (SIVT) : The State of Ad Fraud in the Belgian Market", menée en collaboration avec White Ops et Accenture Interactive, pour évaluer le taux de fraude de tout le trafic desktop, sur la base de 248 millions d’impressions achetées par les membres de l’UBA entre janvier et février 2017 - hors Google/YouTube et Facebook (plus de détails sur mm.be). Un peu plus tôt, dans un Position Paper, l’UBA conseillait aux annonceurs d’inclure explicitement la notion de Brand Safety dans les contrats qu’ils concluent avec les intermédiaires, allant jusqu’à suggérer « des clauses de pénalité en cas d’absence de garanties de qualité. » Par ailleurs, l’UBA a mené avec Kantar une étude sur la viewability qui concluait au besoin d'une norme plus stricte que celle du Media Rating Council. Selon celle-ci, une pub est visible lorsque 50% des pixels sont réellement affichés pendant une seconde (30% des pixels pour certains grands formats) ; en ce qui concerne la vidéo, on parle de visibilité dès 50% pendant deux secondes… L'UBA estime que seuls 9% des annonceurs trouvent la définition actuelle acceptable ; les paramètres à prendre en compte seraient le nombre de pixels et de secondes d'affichage, l’emplacement de la pub et l'exclusion du trafic non humain. En ce qui concerne le nombre de pixels, l’UBA demande une visibilité de 100% ou à minima de 65%, indiquant qu’une pub devrait être visible au moins cinq secondes (quatre à minima). En outre, elle voudrait une révision d’une série de mesures, comme le passage au "viewable CPM". Bref, l’UBA revendique un rôle crucial à jouer dans toutes ces matières. Comme l’explique son CEO, Chris Van Roey.

Ad Fraud, Viewability, Brand Safety... Comment traduire et interpréter ces buzz words qui sont pratiquement apparus ensemble ?

Sans jeux de mots, ils sont connectés. Ils témoignent du manque de maturité des disciplines digitales, si ce n’est pas de leur recul. J’ai eu le plaisir de participer récemment à la conférence de la World Federation of Avertisers, et tout le monde semble rencontrer les mêmes problématiques. Elles touchent au C-level, c’est stratégique et pas simplement technique ou opérationnel.

Comment résumer la situation ?

Nous avons embrassé depuis une vingtaine d’années toutes les nouveautés technologiques. Elles représentaient autant d’opportunités normalement intéressantes pour les annonceurs et leurs campagnes, leur quête de contacts qualifiés avec le consommateur. Au départ, tout cela semblait positif. Nous avions certes rencontré au démarrage quelques imprécisions de mesure. Nous nous sommes dit : c'est nouveau, donc pas grave et même normal, il faut du temps pour fixer les techniques et leurs normes. Entretemps, le digital a 20 ans ! Il est censé qu’il soit devenu mature, alors qu'au contraire, le nombre de bugs augmente.

2016 n'était-elle pas l'année des révélations et 2017 celle des bonnes résolutions et de la volonté d’aller vers des standards pertinents, en Belgique et ailleurs ?

Ce n’est pas ce que j’ai ressenti lors de la conférence WFA. Les inquiétudes, voire les insatisfactions augmentent. A côté des sujets de base que vous avez cités, il reste le problème du "measurement" qui n’est pas performant. Vous avez également certains acteurs comme Google et Facebook qui n’acceptent pas de "third party" pour ces mesures, et l’on a constaté notamment pour Facebook qu’il y avait des couacs possibles.

La question porte donc sur les volumes d’audience ?

Pas uniquement. Les questions sont nombreuses et portent sur tout. En résumé, après une génération de communication digitale, il est temps de tout professionnaliser. Prenez la rémunération : d’après nos sources, 40% du facturé à l’annonceur va aux publishers et 60% aux intermédiaires. Malgré le fait qu’ils soient plusieurs, je note aussi beaucoup de soucis de transparence tarifaire ! Outre la faiblesse des mesures.

Ces indicateurs sont-ils le fait de sujets techniques ou d’une forme d’opacité ?

Je ne sais pas dans quelle proportion c’est volontaire ou non, mais nous rencontrons bien un manque de transparence. Les chiffres que nous recevons nous intriguent. L’intervention de Marc Pritchard (Chief Brand Officer, P&G - ndlr.) est limpide : il demande de mettre de l’ordre, d’établir de nouvelles normes, des KPI fiables.

Il ne s’agit donc pas simplement de la viewability sur le plan de l’impact cognitif uniquement ou des contacts fictifs générés par des robots ?

Ceux-ci se montrent très limités en Belgique, d’après l’étude que nous venons de publier, et tant mieux ! Il s’agit en effet de quelque chose de plus large, d’une forme de crise qui touche tout l’écosystème digital, qui représente, selon les cas, environ 25% des dépenses marcom. Les bugs et grosses questions s’accumulent, et le phénomène est mondial. Avec vos trois sujets et les mesures, nous n’avons pas fait le tour complet !

Que reste-t-il ?

Les ad blockers par exemple. Pas seulement parce que leur utilisation continue à augmenter, mais aussi pour la question qu’ils posent. Le point de vue du consommateur devrait nous intriguer. Coalition for Better Ads a étudié le problème du sentiment de saturation publicitaire très sérieusement, et les formats les plus irritants sont connus. Mais le travail pour trouver et implémenter des solutions reste à produire, et c’est le plus important à mes yeux.

Que voyez-vous comme solution concrète par rapport au rejet publicitaire ? Une stratégie de contacts via le mode opt-in uniquement ?

Pourquoi pas ? Comme contre-exemple, j’ai vu celui d’un broadcaster canadien qui avait testé le format mixte d’un product placement dans une série, avec l’apparition du produit dans les mains de l’acteur, mais où sa pub apparaissait aussi simultanément sur l’écran du téléviseur de la scène. Vous imaginez la proéminence exagérée de la marque !

Hormis ces cas d’espèce, il apparaît que certains groupes sont à la recherche d’outils de mesure et de nouveaux standards. En Belgique aussi, plusieurs démarches sont en cours pour plus transparence et de meilleures mesures.

Je ne vois rien de concret, désolé. Et ce n’est pas le retour que j’entends à des conférences comme celle de Toronto (lieu du sommet de la WFA, ndlr.). Les "issues" sont révélées, oui, mais tout reste à faire. Je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ceci dit : l’idée n’est pas de geler les investissements digitaux en attendant d’y voir clair. Ce n’est pas une solution.

Certains grand annonceurs ont cependant décidé de reculer un peu ou beaucoup...

En effet ! Et parmi les plus grands. J’observe une tendance de retour à l'above ou au live, à l’experiential. C’est un peu inévitable. Je vous renvoie à une citation de PageFair : « How do we correct a decade of mistakes ? ». En attendant des procédures visibles et des résultats, les marques s’adaptent, souhaitant que ce soit temporaire.

Revenons à l’ad fraud. Le rapport de votre étude vient de sortir. Comment va la Belgique ?

Elle va bien. Nous sommes un très bon élève, donc je vous l’avoue, c’est un grand "ouf". Le niveau de fraude potentielle s’estime entre deux et trois pourcents. Si c’est relativement négligeable par rapport à d’autres pays à double digit, nous devons toutefois rester attentifs. Je précise aussi que cette étude est une première en Europe. Nous en sommes donc fiers. Dans un premier temps, nous avons tenté de collaborer avec certains partenaires locaux tels l’IAB, mais cela n’a pas été facile. White Ops a donc géré notre projet. L’objectif à présent est d’en utiliser les enseignements pour maximaliser le ROI de ce que les annonceurs investissent.

Qu’envisagez-vous pour le reste de l’année à cet égard ?

L’UBA dispose de commissions médias, dont le digital fait partie. Nous avons également un groupe Ad Fraud, directement impliqué. Et nous devrions tenir une commission globale avec toutes les parties. Ceci étant, on ne peut pas tout solutionner en Belgique. Le problème est multifacettes et mondial.

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