
La question n’est plus de savoir si nous sommes en récession économique à la suite de la propagation mondiale du coronavirus. On se demande aujourd’hui quelle sera l’ampleur de la crise et combien de temps elle durera. Autre question qui se pose : est-il encore utile d’investir dans des campagnes marketing ? Nous allons tenter de répondre à cette question à la lumière d’études consacrées aux grandes récessions de ces 100 dernières années.
Changement de comportement du consommateur
Pendant cette crise, le « P » du mix marketing qui revêtira le plus d’importance sera celui de « Place ». La question est, en effet, de savoir si l’entreprise réussira à faire parvenir ses produits aux consommateurs. Mission impossible pour beaucoup en période de « lockdown » et de fermeture volontaire des magasins… Pour investir dans le marketing et la publicité, il faut que le produit ou le service puisse être acheté et consommé. Les marques doivent également impérativement rester en contact direct avec leurs clients et avec le grand public, même si les magasins sont temporairement fermés. Un gel total du marketing compliquera considérablement la reprise par la suite. Notons également qu’en période de crise, les consommateurs revoient leurs priorités et leurs habitudes d’achat. Il importe qu’ils se tournent à nouveau vers leur marque habituelle après la crise. Les marques qui s’absentent trop longtemps risquent de comprendre la signification du proverbe « loin des yeux, loin du cœur » à leurs dépens.
Que nous apprennent les études ?
En gardant cette réserve à l’esprit, demandons-nous ce que les études scientifiques menées par le passé nous ont appris quant à l’impact du marketing et de la publicité en période de récession.
Le professeur Gerard J. Tellis a analysé dix rapports de diverses études réalisées entre 1920 et 2005, essentiellement dans des entreprises aux États-Unis. Nous pouvons les classer en deux grandes thématiques : d’une part, l’impact des cycles économiques sur la publicité et, d’autre part, l’impact de la publicité des entreprises individuelles sur leurs ventes, leur part de marché et leur rentabilité.
Sans surprise, la publicité de plusieurs grandes économies mondiales est fortement tributaire des cycles économiques. Un changement de 1 % du produit intérieur brut (PIB), qu’il soit positif ou négatif, entraînerait une modification des dépenses publicitaires de 1,4 % dans le même sens. Cette cyclicité se manifeste davantage dans les pays plutôt axés sur le court terme. Toujours d’après cette étude, la publicité dans la presse écrite serait plus influencée par les changements économiques que la publicité télévisée.
Les études pointent, en outre, un comportement acyclique des marques de distributeur des supermarchés. Contrairement aux marques classiques, elles se portent mieux quand l’économie ralentit. Par ailleurs, leur part de marché augmente plus en période de récession qu’elle diminue lorsque l’économie connaît de meilleurs jours. Plusieurs de ces marques de distributeur n’ont d’ailleurs même plus perdu leur part de marché après une période de récession.
La publicité fait vendre
En ce qui concerne les effets de la publicité proprement dite sur les ventes, la majorité des études révèlent que réduire les budgets publicitaires en période de récession peut avoir un impact négatif sur les ventes pendant et même après la récession, sans entraîner une augmentation notable des bénéfices. Les entreprises qui ont investi davantage dans la publicité lors d’une récession ont vu leurs ventes, leur part de marché et leur bénéfice augmenter pendant et après cette récession. Selon plusieurs études, la stratégie publicitaire adoptée pendant la récession avait toujours un impact positif de nombreuses années plus tard.
Les études examinées présentaient des résultats similaires en termes d’impact sur la rentabilité. Les différentes études sur lesquelles le professeur Tellis s’est penché ont fait ressortir différents avantages et inconvénients du déploiement ou du renforcement des efforts publicitaires durant une récession. L’argument le plus solide en faveur d’une réduction dans une conjoncture économique difficile d’après Tellis ? L’« optimisation » ou l’adaptation des budgets publicitaires en fonction d’une baisse des ventes, caractéristique des récessions économiques.
Et le meilleur argument en faveur d’une augmentation de la publicité en temps de crise ? Les entreprises peuvent mener une campagne plus efficace, car il y a moins de campagnes concurrentes. Si les autres font moins de pub, vous sortez plus facilement du lot.
Un impact accru en période de récession
Les conclusions de l’étude du professeur Tellis ont été confirmées, dans une certaine mesure, par l’étude de Jan-Benedict Steenkamp et Eric Fang. Ils se sont penchés sur 1 175 entreprises américaines pendant trois décennies.
Leur conclusion : l’augmentation de la part de la publicité en période de récession a plus d’impact sur les bénéfices et la part de marché qu’une intensification des efforts en période de croissance économique. Les résultats révèlent néanmoins que l’efficacité de la publicité dépend du niveau de cyclicité du secteur. Les effets de la publicité dans des secteurs très cycliques seraient jusqu’à 50 % plus forts en termes de part de marché et jusqu’à 200 % plus importants en termes de bénéfice que dans les secteurs marqués par une cyclicité moyenne. Le facteur « cyclicité », qui reflète l’impact de la conjoncture, se manifesterait principalement en période de récession.
D’après d’autres études, l’effet des dépenses publicitaires en période de crise dépend essentiellement de la solidité financière de l’entreprise. Plus l’entreprise est financièrement solide, plus la hausse des investissements publicitaires en période de récession accroît la rentabilité.
Bénéfique pour l’action
La recherche empirique démontre donc que la publicité associée à de meilleures performances financières en période de récession peut stimuler les ventes, accroître la part de marché et améliorer la rentabilité. Comme précisé, il s’agit ici des conséquences directes de la publicité. Mais la publicité a-t-elle aussi un impact indirect, notamment sur les marchés financiers ? La manière dont les investisseurs évaluent les entreprises et les actions joue-t-elle un rôle ?
Les professeurs Amit Joshi et Dominique Hanssens ont étudié les effets de la publicité sur la valeur boursière d’une entreprise. D’après eux, la publicité a non seulement un impact à court terme, sur les ventes et la rentabilité, mais elle a aussi un effet positif à long terme sur le rendement des actions des entreprises. Les professeurs avancent deux causes possibles. L’effet d’entraînement (spillover), premièrement : les investisseurs préfèrent les marques fortes et célèbres, car ils pensent que la notoriété et la perception de la qualité peuvent avoir une influence (entraînement) sur la demande d’actions des entreprises dont le portefeuille renferme des marques fortes. La deuxième cause est l’effet de signal (signalling) : des investissements publicitaires sont perçus par les investisseurs comme un signe de santé financière de l’entreprise en question. Les entreprises qui investissent dans le marketing et la publicité font savoir qu’elles suivent une stratégie de croissance, ce qui fera grimper leur valeur à terme.
Conclusion provisoire
Ma conclusion ? Contrairement à ce que l’on croit ou fait souvent, il est économiquement judicieux de continuer à investir dans le marketing et la publicité en période de récession. L’effet sera même plus fort qu’en temps normal. À condition toutefois que les marques soient disponibles pour les consommateurs (en point de vente ou en ligne). Les consommateurs adaptent, en effet, leur comportement d’achat pendant une récession. Les absents risquent donc de ne plus retrouver le chemin du fameux panier de la ménagère. Une marque forte reste, en outre, aux côtés de ses clients, dans les bons et les mauvais moments. Une crise est un moment de vérité pour toute relation entre une marque et ses clients.