
Les cybercriminels s’en mettent plein les poches pour des impressions sur des sites que personne ne visite, grâce à des « bots » et « fraud farms » qui génèrent des clics sans valeur et des visites de sites fictives. L’Association of National Advertisers (ANA) estime que cette fraude a atteint 7,2 milliards de dollars aux États-Unis en 2016. Et en Belgique ? Sparkle* c'est rendu au siège central d’UBA à Grimbergen pour obtenir des chiffres et de plus amples explications.
Pourquoi UBA étudie-t-elle la fraude publicitaire en Belgique ?
Chris Van Roey:« Il faut placer cette analyse dans une perspective plus large. Retournons vingt ans en arrière, à l’aube des médias en ligne. Tout allait devenir plus personnel et parfaitement mesurable. Aujourd’hui, nous constatons que ces promesses n’ont guère été tenues. Il est temps que les médias en ligne passent à l’âge adulte. Chacun mesure, compte et établit des rapports comme bon lui semble. »
Karim Debbah : « À titre d’exemple, une vidéo en ligne est considérée comme vue si 50 % sont visibles pendant deux secondes. UBA estime que cette définition de la visibilité est incorrecte. »
CVR : « Facebook a récemment admis avoir surestimé les vues de ses vidéos de soixante à quatre-vingts pour-cent pendant des années. Les annonceurs ont pourtant payé ! Nous avons droit à des mesures correctes. Droit à la transparence, à des normes qualitatives et quantitatives pour tous les médias. »
Seuls 30 à 40 % aboutissent au propriétaire du média
CVR : « Fin janvier, le chief brand officer de P&G Marc Pritchard a tiré à boulets rouges sur the murky media supply chain : le bourbier où s’enlise un annonceur quand il achète des médias numériques. Regardez, voici un graphique. Si vous investissez 100 % en tant qu’annonceur, 40 % - et moins de 30 % si la fraude entre en jeu - aboutissent au propriétaire du média. Tout le reste demeure englué chez les agences, traders, sociétés gestionnaires de bases de données, plates-formes d’enchères,… Quand on sait à quel point nous avons diabolisé les centrales médias pour une commission de 15 %, je ressens ce graphique comme une gifle en plein visage. »
Rétablir la confiance
CVR : « Avec UBA, nous voulons rétablir la confiance envers les services en ligne avant qu’il ne soit trop tard. Nous ne pouvons pas laisser péricliter un aussi formidable média. Dans ce contexte, nos points d’action incluent l'analyse et la lutte contre la fraude publicitaire en Belgique. À la base, la fraude publicitaire est simple. Elle se présente comme toute forme de fraude : j’achète quelque chose mais je ne reçois pas ce que j’ai acheté. Dans le cas qui nous intéresse, vous achetez des publicités en ligne qui n’existent pas. Ou qui ne sont jamais montrées à un être humain. D’après l’ANA, environ 5% des dépenses totales pour les médias en ligne sont la proie de fraudes. Les fraudeurs visent essentiellement le ‘programmatic buying’ ».
Qu’avez-vous fait jusqu’à présent ?
KD : « Nous avons commencé par définir le problème. Ensuite, notre étude nous a permis de brosser un tableau correct de la situation. Quelle est l’ampleur du problème ? Où et quand nos annonceurs sont-ils victimes de fraude ? Nous avons examiné à la loupe les campagnes de neuf annonceurs belges et étudié 250 millions d’impressions. Ont-elles été vues par des yeux véritables ? Ou par des « bots » ? Chez nous ou ailleurs, dans un endroit mystérieux à l’étranger ? Chaque annonce incluait des tags ou cookies afin de détecter le « SIVT » ou « Sophisticated Invalid Traffic ». Ce fut un véritable défi sur le plan technique. »
CVR : « Cette étude est comparable à celles menées par l’ANA depuis trois ans. C’est une démarche unique en Europe. UBA est la première organisation à aborder cette problématique avec de tels moyens et partenaires. »
Benchmarking
KD : « Nous avons collaboré avec des entreprises phares qui connaissent parfaitement cette problématique. White Ops pour la recherche et Accenture pour le rapportage. Nous allons maintenant analyser les résultats afin d’y réagir adéquatement. Je pense notamment à la sensibilisation du secteur et à la mise en place de négociations avec les parties prenantes. Mais nous en sommes donc à la phase de mesure et d’analyse. Il est important de savoir que nous ne voulons pointer personne du doigt. Notre objectif était surtout d’établir un benchmarking. À présent, nous allons pouvoir réfléchir à la suite des opérations. »
CVR : « La question à laquelle nous avons répondu au travers de nos mesures est la suivante : quelle est l’ampleur actuelle de la fraude ? Mais en fait, ce n’est pas la question la plus importante. Qu’en sera-t-il d’ici dix ans ? C’est là que réside la vraie interrogation. Cette étude est un début, pas une fin. C’est un repère et un coup d’envoi pour travailler ensemble. Nos méthodes vont aussi évoluer car les fraudeurs ne restent pas assis les bras croisés. »
KD : « Pour les organisations criminelles, la fraude publicitaire est actuellement plus intéressante que les drogues et la prostitution. Leurs bénéfices sont élevés et ils ne risquent guère de poursuites. Ces fraudeurs ne sont pourtant pas des petits poissons ! Il s’agit de cybercriminels qui élargissent leurs activités. D’ailleurs, les noms de la maffia et de l’EI apparaissent aussi dans ce contexte. »
CVR : « C’est un marché en expansion régi par la technologie. Une proie qui deviendra certainement de plus en plus en plus alléchante au fils des ans. »
Pouvez-vous d’ores et déjà formuler des recommandations dans le cadre de cette phase ?
KD : Il est encore trop tôt. Je pense que l’idéal, à l’avenir, serait de tester chaque campagne en ligne comme dans notre étude. On constate déjà une évolution dans le fait qu’un nombre croissant d’annonceurs recrutent des ‘matheux’, des gens parfaitement à l’aise avec les logarithmes. Peut-être les annonceurs et bureaux médiatiques vont-ils aussi engager de plus en plus d’experts en matière de fraude. Il me semble également important que les acteurs du marché numérique reconsidèrent leur mission. Cela vaut la peine d’envisager la fin des ventes d’espace et de vues. Un tel « CPM » (« Cost per Mile », le modèle de calcul pour la publicité en ligne, qui représente le prix payé par l’annonceur pour 1.000 affichages d’une publicité) est-il encore en phase avec notre époque ? De nos jours, une agence médias ne ferait-elle pas mieux de commercialiser les conversions ? »
Que font nos instances publiques ?
CVR : « Pour l’instant, rien. En tant que voix des annonceurs belges, nous voulons aussi que les résultats de notre étude les fassent réagir. C’est non seulement important pour l’écosystème où nous déployons nos publicités, mais aussi pour la société où nous vivons. Personne ne veut que l’argent des publicités afflue de manière frauduleuse vers des organisations telles que la maffia ou l’EI, non ? »
* Sparkle B2B magazine est une initiative de bpost, en collaboration avec l’UBA, l’ACC et la BDMA, qui s’adresse spécifiquement aux spécialistes du marketing et de la communication.
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